Compositrice célébrée et reconnue pour son génie et sa forte personnalité de son vivant, Rita Strohl (1865-1941) tomba dans un profond oubli après sa disparition, comme ce fut le cas pour tant de compositrices. Depuis quelques années, grâce à l’engagement de musicologues et de musiciennes pour redécouvrir notre matrimoine musical, nous pouvons redécouvrir l’œuvre captivante de cette grande compositrice.

Une enfance baignée dans les arts

Née Aimée Marie Marguerite Mercédès Larousse-La Villette le 5 juillet 1865 à Lorient, Rita Strohl grandit dans un milieu artistique. Son père, Jules Larousse-La Villette, est un lieutenant d’infanterie de marine passionné de violoncelle et sa mère, Élodie Jacquier, est une artiste peintre de grand talent exposée au Salon de Paris. Comme nombre de compositrices, Rita grandit ainsi dans un environnement où l’art et la créativité sont au cœur de la vie quotidienne.

Elle commence sa formation musicale avec sa mère, pianiste de talent, qui lui prodigue ses premières leçons. Son entrée au Conservatoire de Paris à l’âge de treize ans ne semble pas l’avoir enchantée. C’est une forte tête. Elle préfère composer plutôt que de suivre les cours. Son « Dictionnaire humoristique des instruments » témoigne de son humour corosif et du piètre souvenir que lui a laissé le Conservatoire :

« Piano : Instrument très-connu et auquel on doit de nombreux martyrs. Ces martyrs se divisent en deux catégories : les écoutés et les écoutants. Dans les premiers se placent les élèves des classes du Conservatoire et dans les seconds, les compositeurs qui ont le malheur d’habiter au-dessus ou au-dessous d’eux. »

(Rita Strohl, Dictionnaire humoristique des instruments, cité dans le livret du coffret : Rita Strohl : Vol. 1, La Boîte à Pépites)

Malgré des commentaires peu flatteurs de ses professeurs sur ses bulletins lors de ses premières années d’études, elle finit par se démarquer lors de ses dernières années au Conservatoire, recevant des éloges pour ses dons musicaux exceptionnels.

Rita Strohl © DR

Compositrice et mère

Dans les années 1880, à sa sortie du Conservatoire, elle fait ses premiers pas officiels dans le monde de la composition avec son Premier Trio, suivi du Quatuor à cordes et du Quintette-Fantaisie. Elle compose aussi une symphonie lyrique sur Jeanne d’Arc, œuvre qui connut malheureusement le même sort que l’héroïne qui l’inspira. En ce début de carrière, son langage musical est hérité du romantisme.

Mariée à Émile Strohl en 1888, elle devient rapidement mère, mais refuse de sacrifier sa carrière à ses enfants, créant des œuvres telles que le Deuxième Trio en ré mineur, la Sonate dramatique « Titus et Bérénice » et le Trio pour piano, violoncelle et clarinette « Arlequin et Colombine ». Mais Strohl est loin d’être une féministe avant l’heure, comme l’explique Héloïse Luzatti : « sa vision de la féminité demeure profondément marquée par les stéréotypes de genre. Dans Le Sexe de l’Œuvre, elle décrit les sensations de l’artiste, si c’est une femme, comme « délicates, développées, compliquées » et si c’est un homme comme « masculin, viril, solide ». Pour Rita Strohl, « L’artiste, homme ou femme, qui travaille pour l’Inspiration, n’est vraiment grand que lorsqu’il a réuni dans son œuvre les deux sexes de l’Archétype Divin. »
(Rita Strohl, « Le Sexe de l’Œuvre », cité dans le livret du coffret : Rita Strohl : Vol. 1, La Boîte à Pépites)

En 1898, année marquée par la naissance de sa dernière fille, Marie-Louise, Rita Strohl se tourne vers une composition plus en phase avec son époque. Elle déclare vouloir « prendre contact avec son temps ». Des œuvres vocales comme Bilitis, Les Cygnes, Carmen et les Dix Poésies mises en musique témoignent de son évolution musicale. Rita Strohl rencontre alors un grand succès comme mélodiste :

« Ses pièces vocales, qui comptent parmi ses œuvres les plus publiées, sont jouées, commentées et appréciées de son vivant. En quelques années, essentiellement entre 1894 et 1901, elle compose ce corpus qui constitue un laboratoire stylistique au sein duquel elle forge, au contact de poèmes à la dense symbolique, son écriture harmonique, pianistique et vocale. » (Héloïse Luzzati, livret du coffret : Rita Strohl : Vol. 1, La Boîte à Pépites)

Le tournant symboliste

En ce début de XXe siècle, la compositrice bretonne évolue vers un langage musical plus symboliste. En 1900, le décès soudain de son époux la bouleverse profondément. Ce choc la pousse à explorer des formes plus complexes et empreintes de mysticisme. Elle explore désormais la gamme à six tons dans ses compositions, et crée des grandes œuvres pour orchestres, comme la Symphonie de la Forêt, la Symphonie de la Mer ou les Musiques sur l’eau, autant d’œuvres qui expriment son désir de communion avec la nature.

Elle ressent également le besoin de s’isoler : « Ma vie était changée sans retour. L’heure de la concentration en soi-même avait sonné. J’eus soif de vie intérieure, de silence, de solitude afin de faire germer, grandir et fleurir en toute sécurité, au Soleil, à l’abri des tempêtes, les graines merveilleuses apportées par les grands vents de l’Orient.
Je quittai le monde et les artistes. Je me retirai dans la Tour d’Ivoire. »
(Rita Strohl, Notes pour Le Promeneur de Ciel, cité dans le livret du coffret Rita Strohl : Volume 1)

Un château en Essonne

Elle commence alors la construction de son « château spirituel ». Rita Strohl se retire du monde, malgré les risques que cela représentait pour sa carrière, et se consacre à des compositions monumentales, qui requierent des orchestres immenses, donnant naissance à des cycles tels que le « Cycle chrétien », le « Cycle celtique » et le « Cycle hindou ».

Avec son deuxième mari René Billa, maître verrier connu sous le nom Richard Burgsthal en 1908, Rita Strohl imagine « La Grange », à Bièvres dans l’Essonne, un lieu conçu pour accueillir des œuvres dramatiques grandioses. Burgsthal est un grand admirateur de Wagner, et le théâtre est conçu commun petit Bayreuth. Cependant, la guerre et des difficultés financières vont mettre un coup d’arrêt définitif à cette ambitieuse aventure musicale.

Les dernières années

En 1931, des extraits de La Femme pécheresse, un drame lyrique composé en 1913, sont enfin présentés aux Concerts Lamoureux. Cependant, ses dernière années sont marquées par la solitude. Après son divorce et la vente du théâtre de La Grange, Rita Strohl passe ses dernières années, seule, en Provence.

La compositrice décède en 1941, léguant ses biens à sa fille Marie-Louise, qui s’attachera à copier les manuscripts laissés par sa mère. Malgré ses contributions musicales exceptionnelles, Rita Strohl tombe rapidement dans l’oubli après sa mort, .

Compositrice au parcours atypique, Rita Strohl a laissé une œuvre considérable comprennant aussi bien de la musique de chambre, des cycles de mélodies, que des œuvres orchestrales et des opéras. C’est uniquement à cause de siècles de préjugés sexistes que son œuvre, comme celles de ses consœurs, a été oubliée, enfouie, invisibilisée : « Si la condition des femmes et le regard que l’on porte sur les musiciennes en Occident ont changé au cours des siècles, la vision profondément androcentrée de nos sociétés a maintenu des représentations et des stéréotypes qui ont entraîné des blocages jusqu’à nos jours, malgré les différences géographiques, les évolutions des systèmes politiques, des pensées et des mentalités. » (Guillaume Kosmicki, Compositrices : l’histoire oubliée de la musique) Il n’est que justice qu’enfin sa musique sorte de l’ombre !

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