Joseph Bologne, Chevalier de Saint-Georges, est une figure emblématique dont la vie ressemble à un roman d’aventure et dont l’héritage musical mérite d’être exploré. Né d’un père colon et d’une mère esclave, il se fit un nom comme virtuose du violon, compositeur de talent et escrimeur. Malgré les défis qu’il a dû surmonter en tant que métis issu de l’esclavage, le chevalier de Saint-Georges a laissé une marque indélébile sur la musique classique et sur la société de son époque.

Né sur une plantation

Joseph Bologne est vers 1745 à Baillif en Guadeloupe, fils de Georges Bologne de Saint-Georges, un colon enrichi par les plantations, et de Nanon, son esclave africaine et maîtresse.

En 1747, accusé de meurtre George de Bologne fuit vers la France hexagonale, et un an plus tard Nanon et Joseoh le rejoignent. En posant le pied dans l’Hexagone, le petit Joseph est automatiquement affranchi : « Toute personne de couleur, même né d’une mère esclave, qui arrive alors sur le territoire Français est affranchi, libéré de la servitude par le pouvoir du sol du royaume selon l’article 59 du Code Noir (« les affranchis ont les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres »). » (source : France Musique)

Son père, qui était roturier, devient en 1757 Gentilhomme ordinaire de la chambre du roi et prend le titre de « Saint-George », du nom d’une de ses plantations en Guadeloupe.

Les premiers pas d’un prodige

Le jeune Joseph Bologne reçoit l’éducation d’un gentilhomme, et montre des talents exceptionnels dans deux domaines, la musique et l’escrime. À l’âge de 13 ans, Joseph est envoyé étudier dans une académie privée d’escrime dirigée par Texier de La Boëssière. Il y devient un escrimeur hors pair. Sa réputation était si grande qu’on disait qu’il avait remporté tous les duels auxquels il avait participé.

Mais c’est la musique qui a véritablement propulsé Joseph Bologne sur le devant de la scène. On ne sait rien de ses années d’apprentissage de la musique, mais certaines dédicaces nous laissent supposer qui aurait pû être ses maîtres : « On ne sait rien sur sa formation musicale, mais le fait que des œuvres d’après 1764 sont dédicacées à François-Joseph Gossec (1734-1829) et à Antonio Lolli (1725-1812) amène à penser que le premier fut son professeur de composition et le second de violon. Peut être Pierre Gaviniès (1728-1800) fut-il également l’un de ses professeurs de violon. » (Source : Musicologie.org)

Selon Charlotte Nediger George Bologne « était un mécène notable et reçut des dédicaces de plusieurs compositeurs, dont les violonistes Antonio Lolli et Carl Stamitz, qui pourraient avoir été parmi les professeurs de Joseph. La dédicace des Quatuors orchestraux op. 1 de Stamitz remercie George Bologne pour « son don inestimable en la personne de son fils ». » (Livret de l’enregistrement The Music of Joseph Bologne, Tafelmusik)

L’ascension sociale d’un virtuose

Malgré les préjugés de l’époque liés à ses origines métisses et au statut d’esclave de sa mère, Joseph Bologne a réussi à gravir les échelons de la société française et de l’élite musicale. Son ascension a été facilitée par son incroyable talent musical et son charisme captivant.

À l’âge de 19 ans, en 1764, Joseph Bologne devient gendarme du roi et est fait chevalier de Saint George. En 1769, il intègre l’rochestre du Concert des amateur, fondé par Gossec. Il y interprète ses deux concertos pour violon en 1772, puis devient le directeur musical lorsque Gossec pred la direction du Concert spirituel.

Son ascension est fulgurante. Il devient maître de musique de la reine Marie-Antoinette. Et en 1776 il candidate pour la direction de l’Opéra de Paris (Académie royale), et est d’abord nommé par le roi Louis XVI, mais c’est sans compter sur le racisme de certaines chanteuses qui, « offusquées par l’idée d’être sous l’autorité d’un mulâtre, adressent une pétition à la reine Marie-Antoinette, qui empêche cette nomination. » (Source : Musicologie.org)

Saint-Georges à l’opéra

Son échec à la direction de l’Académie Royal ne l’arrête pas, et il décide de se consacrer à la composition d’opéras. Son premier opéra, Ernestine, est créé à la Comédie-Italienne en 1777. Si la musique composée par Bologne est saluée par la critique, le livret de Pierre Choderlos de Laclos, auteur des Liaisons Dangereuses, est considéré comme médioce, et l’opéra fait un flop. Son deuxième opéra, La Partie de Chasse, est créé l’année suivant dans le même théâtre et rencontre un certains succès.

Son troisième opéra, L’Amant Anonyme, est créé en 1780 dans le théâtre privé de la marquise de Montesson, épouse du duc d’Orléans, qui le nomme directeur musical de son théâtre et lui donne une résidence au palais ducal. C’est le seul de ses opéras qui subsiste dans son intégralité, et qui a bénéficié récemment d’un bel enregistrement.

Le Chevalier et la Révolution

Durant la Révolution française, Joseph Bologne s’est engagé dans l’armée et a été nommé colonel des Légions des volontaires des colonies françaises. Il a combattu aux côtés des révolutionnaires pour défendre les idéaux d’égalité et de liberté. Toutefois, il a également dû faire face à la discrimination et aux préjugés de ses camarades révolutionnaires en raison de sa couleur de peau.

Il s’engage d’abord dans la Garde nationale. En 1791, il est nommé colonel de la Légion Franche de Cavalerie des Américains, composée essentiellement d’hommes de couleur et bientôt connue sous le nom de Légion Saint-Georges. Sa bravoure en font un héros de guerre.

Mais proche du général Dumouriez il devient suspect aux yeux de certains révolutionnaires d’être un officier royaliste, et en 1793, il est emprisonné pendant presque un an, soit disant pour utilisation abusive de fonds publics, mais sans procès, donc sans possibilité de prouver son innocence. Quelques mois plus tard il est de nouveau arrêté et emprisoné. Après la chute de Robespierre, une amnestie générale est déclarée pour les « actes en lien avec la Révolution.

En 1796, il tente de réintégrer l’armée pour combattre en Italie, mais échoue. Une se serait rendu à Saint-Dominingue (aujourd’hui Haïti), et aurait rencontré Toussaint Louverture, mais aucune preuve concrète ne corrobore ceci. En 1797, il revient à Paris et prend la direction d’un nouvel orchestre, le Cercle de l’Harmonie, qui se produit dans l’ancienne résidence du duc d’Orléans. Il meurt en 1799, à l’âge de 53 ans.

L’héritage musical de Saint-George

Le parcours exceptionnel de Joseph Bologne a laissé un héritage durable dans le monde de la musique classique et au-delà. Il a ouvert la voie à des générations de musiciens noirs et métis, démontrant qu’il était possible de s’élever au-dessus des barrières sociales pour atteindre l’excellence artistique. Malheureusement, son nom et sa musique ont été en partie oubliés avec le temps, victimes des préjugés racistes.

Comme l’explique Allan Badley, Saint-Georges n’a pas été un compositeur « prolifique », mais « il n’y a rien d’étonnant à cela, compte tenu de l’extraordinaire diversité de ses activités » (Livret du disque Symphonies concertantes, Michael Halász, Naxos). Sa production se concentre principalement sur les années 1772-1779, et concerne surtout le violon, dont il était un virtuose reconnu.

Comme premier violon du Concert des Amateurs, puis comme directeur du Concert de la Loge Olympique, orchestre franc-maçon, Joseph Bologne était un des musiciens les plus influents de l’Europe des Lumières. En tant que compositeur, il a composé 11 concertos pour violon, qui stylistiquement  » s’insèrent dans le mouvement galant ayant cours en France depuis les années 1730 : mélodies et structure simples, accompagnement réduit, virtuosité élégante, carrures simples. » (Julie Harrison, livret de l’enregistrement Violin concertos : Benda, Graun, Sirmen, Saint-George, Aparte)

Julie Harrison note dans le concerto en ré majeur, op. 8 « des typicités d’écriture propre à Saint-Georges qui, s’il ne révolutionne pas le genre, compose des œuvres de très belle et séduisante facture : une exploitation du registre aigu très marquée, de larges intervalles, des bariolages, une attirance pour les modulations rapides et les tonalités mineures, qui surgissent souvent, comme ici, au sein d’un premier mouvement majeur. » (livret de l’enregistrement Violin concertos : Benda, Graun, Sirmen, Saint-George, Aparte)

Joseph Bologne fut un grand défenseur du genre de la symphonie concertante, qu’il participa à populariser. Ses symphonies concertantes étaient une forme de prolongement de son exploration de la forme concertante de la symphonie. Dans ses deux symphonies concertantes op. 9, « le déroulement paisible des premiers mouvements », « avec leurs thèmes lyriques et leurs accompagnements délicats, presque transparents, présente de nombreux points communs avec les concertos de Saint-Georges. » (Allan Badley, Livret du disque Symphonies concertantes, Michael Halász, Naxos)

Redécouverte et reconnaissance posthume

Après presque deux siècles d’invisibilisation, ces dernières années ont vu, sous la pression des activistes, un regain d’intérêt pour la vie et l’œuvre de Joseph Bologne. Des chercheurs, des historiens et des musiciens, et même Hollywood, se sont mobilisés pour redécouvrir l’héritage musical de ce grand musicien et lui rendre l’hommage qu’il mérite. À travers leurs efforts, nous sommes aujourd’hui en mesure d’apprécier l’incroyable talent de ce virtuose exceptionnel du violon, compositeur de talent et escrimeur hors pair.

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