Aujourd’hui je vous vais présenter quelques albums qui m’ont séduite et m’ont remplie de bonheur en cet automne 2018.
En cette année de célébration du centenaire de la mort de Claude Debussy, beaucoup d’enregistrements sont parus depuis le mois de janvier. Pour rendre hommage au compositeur français, le pianiste français Jonas Vitaud a décidé de consacré son quatrième album à ses œuvres de jeunesse, composées entre 1885 et 1898 par un Debussy encore à la recherche son écriture personnelle. Cet album est aussi l’occasion de montrer la variété du travail de Debussy pour le piano : piano seul, à quatre main, avec orchestre et avec soliste vocal. Pour cela le jeune pianiste français a su s’entourer de merveilleux musiciens : le pianiste Roustem Saitkoukov, que j’avais eu la chance d’entendre en concert avec Maxim Vengerov et qui m’avait beaucoup plus impressionnée que son célèbre partenaire ce soir là, la mezzo-soprano Karine Deshayes, le ténor Sébastien Droy, le Secession Orchestra et son chef Clément Mao-Takacs. Le jeu de Jonas Vitaud, à la fois cristallin et riche en couleurs et en nuances, est idéal pour exprimer toutes les variations d’humeur et d’atmosphères de la musique du jeune Debussy. Et tous ses partenaires l’accompagnent magnifiquement, avec une mention spéciale pour le chef Clément Mao-Takacs et son ensemble le Secession Orchestra, dont j’attendais un nouvel album depuis plusieurs mois, pour avoir eu l’occasion de les entendre en concert et avoir discuté avec ce jeune chef français sympathique, rigoureux et passionné. La découverte de cet album fut pour moi le ténor Sébastien Droy, qui donne une interprétation très sensible et vibrante des belles « Ariettes oubliées », avec une diction absolument parfaite.
Dès les premières mesures de la Fantaisie d’après Bach de Busoni, Igor Levit nous donne l’impression d’entrer dans un labyrinthe sonore, sombre et mélancolique. C’est un disque extraordinairement émouvant, qui célèbre la vie, mais qui est aussi un moyen pour Levit de faire face à la mort de son meilleur ami, mort tragiquement dans un accident en 2016. Vous allez lire sans doute beaucoup d’éloges dans la presse, la presse anglophone étant dithyrambique depuis la sortie de cet album, et pour une fois je suis non seulement d’accord avec la presse, mais j’attendais ce moment depuis quelques temps. Igor Levit est devenu pour moi ces dernières années le pianiste de sa génération: il est le contraire d’un virtuose, il est un pur musicien, qui a le talent, la rigueur et la profondeur pour devenir l’égal d’un Sviatoslav Richter. C’est aussi un artiste qu’il faut absolument entendre en concert pour saisir à quel point il est exceptionnel, hypnotique, et d’une insaisissable profondeur, avec un toucher capable d’une palette sonore d’une richesse inouïe. Igor Levit peut se saisir de n’importe quelle œuvre et la faire sienne pour donner une interprétation unique et bouleversante, qui nous permet d’aller au delà des notes vers la signification profonde des œuvres. En concert, je crois que seul Piotr Anderszewski m’a donné la même impression d’un musicien si totalement absorbé et intense qu’il jouait sa vie pendant le concert et donnait tout ce qu’il avait en lui. Le compositeur tchèque Antoine Reicha fut l’élève de Haydn, l’ami de Beethoven et le professeur de Berlioz, Liszt et Franck, mais son œuvre était tombée dans l’oubli jusqu’au jour où le pianiste serbo-américain Ivan Ilić décida de lui consacrer plusieurs années de sa vie afin d’enregistrer 5 albums consacrés à ses œuvres. Parfois un compositeur a besoin d’un interprète pour revenir dans la lumière, et Reicha a trouvé en Ilić l’interprète idéal et un vrai champion qui a permit la redécouverte de ce compositeur trop injustement tombé dans l’oubli. Si vous découvrez l’œuvre de Reicha, je vous conseille en terme d’introduction de regarder la formidable série de documentaires réalisée par Ivan Ilić pour le label Chandos. Cet enregistrement comprend des « Etudes dans le genre fugué », composées par Antoine Reicha afin de permettre aux jeunes compositeurs et interprètes de travailler un style d’écriture qui n’était plus à la mode au début du 19e siècle. Reicha enseignait le contrepoint, et considérait que tout compositeur devait absolument maîtriser l’écriture fuguée. Le jeu d’Ivan Ilić exprime magnifiquement et de façon incroyablement vivante toutes les nuances de l’écriture de Reicha, avec une clarté, une précision et une science du contrepoint remarquables (cela me donne vraiment envie de l’écouter interpréter des œuvres de Bach quand il aura fini d’enregistrer Reicha). Ces études qui pourraient sembler d’un premier abord un peu monotones deviennent grâce au pianiste des œuvres pleines d’esprit, d’inventivité et de mélancolie, si bien que j’ai été captivée de la première à la dernière note.
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